Claude Nougaro et Bernard Lubat par Christian Laborde (écrivain)
Claude Nougaro est le plus
grand chanteur français de tous les temps. Il raconte les plus belles
histoires et, pour les raconter, il use des mots les plus beaux.
Les mots les plus beaux, il les trouve sagement alignés dans les colonnes des dicos, scintillants, immobiles comme des poissons qui dorment. Dico—dico par—ci, dico—dico par—là, Claude, les dicos, il aime ça. Comme l’eau, Mimi Cracra. Les mots, parfois, il
les ramasse dans le caniveau et dans un drôle d’état, à minuit, quand
la pluie fait des claquettes sur le trottoir. Il s’arrête, admire,
applaudit. Il est son chapeau claque, son queue—de—pie vertical, son sourire de nacre, sa pointure de cristal.
Les plus beaux mots pour les plus belles histoires car, Claude, de ville en ville, de scène en scène, célèbre sur les planches, devant
nous, des mariages inouïs une pendule. Celui d’un coq et d’une pendule
" Dans une ferme du Poitou
Un coq aimait une pendule
De l’aube jusqu’ au crépuscule
Et même la nuit comme un hibou
L’amour le rendant coqtambule
Des cocoricos plein le cou
Le coq révait à sa pendule
Du Poitou »
Si Claude Nougaro est devenu le plus grand chanteur français de tous les temps, c’est aussi parce qu’il était accompagné par le plus grand batteur de tous les temps: Bernard Lubat. Nougaro, c’est la percussion. Et la percussion, c’est Lubat. Lubat, les
linguistes le savent, est la forme gasconne et contractée de batterie,
un patronyme qu’on croise le long de ces interminables lignes droites
qui sillonnent la forêt landaise et mènent à l’ océan, à des plages
qui, avant d’être celles des touristes, furent celles des naufrageurs.
Lubat est également la forme archaïco—gasconne de Lubie. Bernard Lubat,
c’est Bernard Lubie. Nougaro et Lubat ont associé leurs lubies, leur
folie, leur déraison, leurs visions. La première fois que Lubat a
entendu Claude, il s’est écrié: « On a le droit le faire Ça!» Alors, le « ça » en question, ils
l’ont fait ensemble, lubat laissant le tambour parler, Claude continuant de taire sienne la phrase (le Breton: «Après toi, mon beau
langage ! »
Porté par la batterie de Lubat, traversé par
les mots les plus vagabonds, Chaude est devenu un danseur, le corps
tout entier. s’emparant des planches, la chorégraphie cessant d’être
savante, devenant primitive, incantatoire.
Claude Nougaro n’a
pas de descendance. Il est une parenthèse somptueuse dans le grand
livre de la chanson française. Une parenthèse qui fait de l’ombre à
toutes les phrases.
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Bernard
Lubat : « Je conclurai notre séjour à l’Européen par un solo où,
précisément, je vais parler, jouer, déjouer de mes instruments, des
mots, de la pensée. »
La Cie Lubat investit le théâtre l’Européen, à Paris, durant quatre
jours,
avec Richard Bohringer, Michel Portal et les jeunes musiciens
d’Uzeste. Pour une musique avec de la pensée et résolument sans papiers.
N’est-ce pas l’esprit d’Uzeste musical qui, durant quatre jours, se déplace à l’Européen ?
Bernard Lubat Oui, nous avons envie d’apporter l’air
d’Uzeste à Paris, avec la
Cie Lubat, Michel Portal, Richard Bohringer,
de jeunes musiciens d’Uzeste, pour un échange entre générations, pour
la liberté, la fraternité, la quête de l’imaginaire. Stravinski a dit :
« Nous avons le devoir d’inventer la musique », et d’inventer la vie,
ajouterai-je. Parmi nos invités, il y a aura Michel Portal, un inventeur
permanent, Richard Bohringer, poète diseur de lui-même, un peu comme
Claude Nougaro et Allain Leprest. Ces artistes sont des exemples pour
les jeunes. Mon fils, Louis, et ses collègues ont monté à Bordeaux une
association, le Parti collectif, ou PC. On le retrouvera à l’Européen
avec le bassiste Jules Rousseau, le guitariste Thomas Boudé et la Cie
Lubat, mardi 21 avril, pour la soirée intitulée Mosicans.
Qu’est-ce qui vous touche le plus chez Richard Bohringer ?
Bernard Lubat Son sens profond du blues. Richard est
un bluesman de la parole. Nous nous rencontrons assez souvent durant
l’année. Quant à Michel Portal, mon fils et moi allons nous livrer avec
lui à l’improvisation totale, jouer une musique sans papiers…
Comment préservez-vous l’énergie de sans cesse tout recommencer, réinventer ?
Bernard Lubat Grâce à la rencontre. Je cherche le
différent. Nous devrions tous jouer avec nos différences, et non pas
nous transformer en identique, en meute, comme le veut le système,
l’industrie du disque, véritable moulin à vendre. De la soi-disant
musique est déversée partout, dans les parkings, les aéroports, les
grandes surfaces… En réalité, c’est de l’exploitation sonore, à laquelle
l’industrie triomphante essaie de nous plier. Un nombre croissant de
gens ne savent plus ce qu’est la musique en vrai, celle que l’on écoute
en direct, la musique non pas rabâchée mais en mouvement et s’inventant
au fur et à démesure. Je conclurai notre séjour à l’Européen par un solo
où, précisément, je vais parler, jouer, déjouer de mes instruments, des
mots, de la pensée.
Les documentaires sur Uzeste musical et ses forces vives ont une belle place dans la programmation…
Bernard Lubat Tout à fait. Sera projeté, notamment,
le film de Laure Duthilleul Lubat père et fils, sur notre fils, Louis,
et moi. Louis et ses amis musiciens ont du talent, de l’intelligence, du
courage. Si j’ai toujours envie de continuer Uzeste musical, à mon âge,
c’est que cette jeunesse debout m’inspire. Ces films et les autres à
l’affiche de l’Européen mettent en évidence la démarche qui a toujours
habité Uzeste musical. Le festival a été fondé en 1978, comme Jazz In
Marciac, soit un an après le Printemps de Bourges. Nous avons voulu
grandir, mais surtout ne pas grossir. Nous nous reconnaissons dans la
phrase du philosophe Martin Heidegger : « L’origine est devant nous. »
Il faut aller de l’avant. Avec cinq musiciens de la Cie Lubat, nous
jouerons nos chansons enjazzées lors du prochain Jazz In Marciac, à la
Strada. Il y aura entre autres mon alter ego uzestois, Fabrice Vieira, à
la guitare et au chant. L’improvisation nous permet de prendre le
périlleux chemin de l’autonomie.
Que pensez-vous de la tournure que prend la grève à Radio France ?
Bernard Lubat La grève n’est pas bien vue dans le
showbiz. C’est le cynisme des nantis, une insulte au service public,
qu’ils cherchent à disloquer partout. Or le service public est un des
rares liens qui restent dans les campagnes, les petites communes, les
zones sinistrées. J’ai lu dans l’Huma qu’une centaine de festivals ont
été supprimés en 2015. C’est effrayant, ça frappe, des festivals qui ne
font pas de l’animation électoraliste mais de l’éducation à la
sensibilité. À l’Européen, comme à Uzeste, nous rétorquons à l’industrie
du non-savoir.
Du 19 au 22 avril, l’Uzestival de la Cie Lubat
au théâtre
l’Européen, Paris.
Et aussi : le 12 août, la Cie Lubat à Jazz
In
Marciac ; du 14 au 22 août, 38e Uzeste musical ; le 25 août, Bernard
Lubat
au festival les Inattendues à Mons (Belgique), dans le cadre de
Mons, capitale européenne de la culture.
La vertigineuse épopée d’Uzeste musical. À
côté des cinq concerts de la Cie Lubat – avec Richard Bohringer, Michel
Portal… –, six documentaires retracent l’épopée du festival Uzeste
musical de 1985 à 2015. Le documentaire de Laure Duthilleul "Lubat père
et fils" (19 avril, 19 h 30) traite admirablement de la transmission
opérée au fil des ans par Bernard à Louis. Il sera précédé, à 15 heures,
du documentaire réalisé trente ans avant par Richard Copans, "Lubat
musique, père et fils" (1985).
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Bernard Lubat : « Aujourd’hui le rock’n’roll, ce sont des faux rebelles et des vrais cocus »
Multi-instrumentiste, jazzman, créateur du festival d’Uzeste et scateur
de renom, Bernard Lubat détonne dans le milieu du jazz pour son
franc-parler, et sa critique acerbe de la société actuelle. Reconnu pour
son talent, parfois critiqué pour ses coups de gueule intempestifs,
Bernard Lubat est un musicien conscient, un jazzman engagé. Nous l’avons
rencontré cet été dans son univers, à l’occasion du festival
Musicalarue de Luxey, un village des Landes qu’il fréquente depuis son
enfance. Entretien de Thomas Belet
Bernard Lubat bonjour, ou peut-être devrais-je
dire Monsieur le commandeur requis de l’ordre de la grande gidouille
dans le collège de pataphysique. Entre vos multiples casquettes,
comment vous définiriez-vous ?
Et patati, et
pataphysique. Vous savez, j’ai jamais su choisir entre le sérieux et le
pas sérieux. Si je devais me définir ? En fait je ne me définirais
surtout pas : pas d’étiquette, pas d’identité révélée, que du
devenir, de l’inconnu, de la transformation du souci en souci de la
transformation.
Pourtant, de l’identité vous devez en avoir quand on sait le rapport que vous entretenez avec votre ville d’Uzeste ?
Au
final, personne ne sait vraiment ce qu’est l’identité. On ne fait que
nous rabâcher cette notion en y mettant un peu ce qu’on veut. De toute
façon, l’identité n’est pas quelque chose d’arrêtée, de fixe. C’est
un cliché à un instant T. Au final la planète est une communauté
universelle, le reste n’est qu’une question de cultures. (...)
Lire en PDF L'entretien de Thomas Bele
L'entretien sur le site Friture.mag
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Du 23 au 27 avril, Bernard Lubat était "L'invité de la semaine" du journal L'Humanité.
En cette semaine d'entre 2 tours de l'Élection présidentielle 2012, il s'est plié à l'exercice...un texte par jour :
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* Une contribution de Philipppe Carle dans le blog de Jazz mag
http://www.jazzmagazine.com/index.php?option=com_fireboard&Itemid=8&func=view&catid=14&id=2205
* "Ordre et improvisation" contribution de Jean-Michel Lucas /Doc Kasimir Bisou. Lire en pdf
* "Le jazz est une négritude dépassée" interview d'Edouard Glissant par Jacques Denis pour Jazzman Juillet/Août 2009. Lire en pdf
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Lubat, on ne le refera pas. On le prend, on l'écoute avec ses mille mots et notes d'alchimiste iconoclaste. Qu'il parle du jazz qui tape, des phrases qui cognent, de politique ou de poétique, des ses fantasmes ou désirs d'improvisation à tout va. De Paris à Uzeste il scatte sur tout à propos de rien. Bernard Lubat ne boit plus, ne fume plus, mais ne baisse pas la garde. Il avoue son plaisir à se resservir des baguettes. Dans un restaurant gascon (évidemment) de la capitale au nom évocateur, la Cocotte, il jouit plus que jamais d'être un... bâtard de jazz.
Par Robert Latxague, pour Jazz magazine, Avril 2011
Lire l'intégralité de l'interview en PDF
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"Improviser, c'est s'improviser,
c'est donner conscience au soi doutant de soi "Bernard Lubat
Dans un entretien, réalisé par Marie-José Sirach pour le journal L'Humanité, à l'occassion de "l'Uzestival de Printemps", Bernard Lubat selfs'plique sur la musique de composition mult'immédiate instantanée.
Lire l'entretien en PDF
: Improvisions d'avenir
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L'Hestejada dé las Arts d'Uzeste Musical, du 17 au 22 août 2010, avait pour théme "Identité(s) Improvision(s) et Supermarché. Monique Chemillier-Gendreau (juriste internationale, professeur émérite à l'Université Paris VII Denis Diderot) est intervenue, à cette occasion, sur le problème de l'identité, lors d'une conférence qu'elle a intitulé "Exaltation de l'identité ou comment l'on détruit les possibilités d'une communauté politique"
"La création hideuse d’un Ministère de l’identité nationale et de l’immigration et les débordements récents relatifs au retrait de la nationalité ont soulevé une certaine indignation et cela, jusque dans le camp de la majorité parmi le groupe que l’on désigne comme la droite républicaine. Et sans doute vous attendez-vous à ce que je m’engouffre dans cette voie. Certes, je partage cette indignation. Toutefois, je voudrais poser le problème autrement. Je pense en effet que cette politique menace la cohésion de la communauté politique. Mais il est nécessaire de poser en termes plus larges cette question de la communauté politique. Nous verrons alors que ce discours, si critiquable, sur l’identité nationale sert de premier échelon à un discours plus général et tout aussi dangereux qui est le discours sécuritaire. Dans ce dernier, on passe de l’identité à des processus d’identification par lesquels certains se donnent le pouvoir de définir l’identité supposée de ceux qu’ils considèrent comme dangereux parce qu’on les déclare susceptibles de commettre des crimes sexuels ou des attentats terroristes. Et ce discours sécuritaire entraîne des dérives policières de plus en plus accentuées. Nous devons donc aller de la dénonciation et de l’analyse du premier discours, celui sur l’identité nationale, à la dénonciation et l’analyse du second, le discours sécuritaire général pour prendre la mesure de ce qui nous menace. (....)"
Lire en PDF, l'intégralité de la conférence |
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Transcription de
l'intervention de Bernard Lubat au séminaire de
Marc Chemillier
« Modélisation des savoirs musicaux
relevant de l'oralité » qui a eu lieu à l'EHESS le mercredi 12 mai
2010.
...Bernard Lubat -
Je vais parler du rythme, parce que c'est le point de départ
et le point d'arrivée. Le rythme, c'est la danse, c'est la
narration de l'heureux-bondi. C'est un rebondi qui ne rebondit jamais
toujours pareil. C'est régulier, mais c'est comme dans
l'écriture quand on écrivait avec la plume, il y a
les pleins et les déliés, ce n'est pas
régulier. C'est comme jouer du piano, vous avez les doigts qui
ne sont pas réguliers, qui n'ont pas le même poids,
donc on peut articuler une mise en place très
précise, mais avec un son différent. Donc ce n'est
pas égal. Ça commence comme ça, le rythme,
c'est inégal et c'est l'indépendance des membres, donc
c'est politique si l'on veut, parce que si c'était la
dépendance
des membres, c'est qu'on serait tous liés, alors là
on
est cuits (ce fameux lien social que je ne trouve pas que positif)...
Lire l'intégralité de l'intervention
Vidéos de la conférence
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Texte de l'intervention de Bernard Lubat au colloque "Improvisation : ordre et désordre", janvier 2009, festival Sons d'Hiver
Lire l'intervention en pdf
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